Textes d'auteurs

Armelle Canitrot, "Absence"

Extraits de la monographie parue aux Editions Filigranes, pages 10,11,12, 2007

« Amis, parents, enfants sur la plage un soir, tous plongés dans ce moment. Ils s’activent, s’ennuient, jouent, discutent… mais pas moi. Je suis soudain saisie par le point de vue que j’ai sur eux, ils me tournent le dos, ou plus justement je vais voir dans leur dos, et je trouve leur absence, et la mienne. C’est une photo urgente d’une scène immobile… ». (C.M.) Photographie mémorielle qui garde la trace d’un souvenir directement offert par le réel, l’image « Années-Lumière » fonde la série « Longue Distance ». Aucune mise en scène, aucune sculpture, abandon du format carré, adoption du strict noir et blanc, présence de nombreux « personnages » : l’instantané Années-Lumière crée une véritable rupture dans l’œuvre de l’artiste. Ainsi y-a-t-il un « avant », et un « après » Années-Lumière. Conceptualisé notamment par le ça-a-été de Roland Barthes, le rôle mémoriel de la photographie est une évidence repérée depuis ses origines. Mais, comme aucune autre image avant elle dans l’œuvre de Corinne Mercadier, c’est Années-Lumière qui assume pleinement cette responsabilité par rapport au souvenir du réel. La « vision » y est directe, d’où l’effet de sidération de la photographe elle-même devant ce tableau où tout est en place sans qu’elle ait à forcer le destin. D’où l’effet de sidération qui parcourt aussi toute la série, même si les images qui suivent sont à nouveau fabriquées par l’artiste, avec ses propres arrangements entre hasard et nécessité.
Temps
Dans la série Longue Distance, la présence de plusieurs polyptyques _les trois images de Carré Lunaire où l’on passe de la nuit au jour, celles de La Terrasse, ou encore de L’Or _, renforce la tentation de se raconter des histoires. Regroupements de scènes très proches montrant les différents moments d’une même séquence, ces triptyques ne sont pas tant pour l’artiste un récit construit à partir d’images fixes, comme peut l’être La Jetée de Chris Marker, qu’au contraire une suite de « photogrammes » extraits d’un film qui ne cesse de s’échapper. Pas tant un désir de raconter une fiction, qu’un artefact pour signifier la fuite du temps et figurer l’impermanence. Une preuve par l’image de l’impuissance à retenir l’instant et le mouvement de la vie, à l’instar du héros de La Jetée, qui « comprit qu’on ne s’évadait pas du temps et que cet instant qu’il lui avait été donné de voir enfant, et qui n’avait cessé de l’obséder, c’était celui de sa propre mort ».
Symbolique
Ainsi aimerait-on voir se ranimer les trois images de L’Or, auxquelles le cadre d’une piscine offre cet espace scénique parfaitement délimité, comme au théâtre. Notamment ces deux figures saisies en pleine plongée et restées en arrêt dans l’air au-dessus du bassin miroitant. Car on fait le parallèle avec The Reflecting Pool, la fascinante vidéo de Bill Viola, dans laquelle un plongeur reste suspendu dans les airs en position fœtale, jusqu’à s’y fondre, avant de ré-émerger des eaux sans y avoir pourtant jamais pénétré. Dans une étrange résurrection. On retrouve des obsessions proches de celles de Corinne Mercadier, dans ces spectres qui se reflètent entre deux eaux chez Bill Viola, et dans sa vision dédoublée « haut-bas » de l’image. L’or, la plongée…, Corinne Mercadier ne tient pas le symbolique à distance, proche en cela de la démarche inspirée de l’artiste américain. Ainsi l’or, ou l’un de ses alchimiques leurres, est-il convoqué ici pour réinventer non seulement la lumière, mais aussi pour pousser plus loin l’exploration de la sculpture. Celle-ci devient tantôt une surface plane et miroitante délimitant un espace, comme la « feuille d’or » convoquée dans l’icône pour symboliser l’infinitude du sacré. Tantôt un volume protéiforme, comme un drapé capable d’épouser chaque fois de nouveaux contours, de se manifester dans de nouvelles apparences.