Textes d'auteurs

Alan Klotz, "Nouvelles oeuvres de Corinne Mercadier, Solo et Black Screen"

Alan Klotz Gallery, New York, 2013

Corinne Mercadier arpente les chemins du rêve...elle est bien connue pour cela. Et quand elle se réveille, il lui arrive souvent de se précipiter pour dessiner ce qu'elle vient de rêver. Elle sait qu'elle a peu de temps avant que le souvenir ne s'efface et elle tient absolument à le garder. Ainsi des rêves, souvenirs d'enfance et textes importants... tout cela reste en elle profondément gravé et se retrouve dans ses dessins.

Les dessins vivent ensuite une autre vie dans le théâtre qu'elle crée sur d'anciens marais salants méditerranéens - son espace scénique. C'est d'ici que proviennent certains de ses souvenirs d'enfance. C'est là aussi qu'elle organise ses mises en scène avec sa compagnie de modèles volontaires, mari, enfants, parents, divers autres assistants, lanceurs d'objets et pourquoi pas, passants occasionnels. Corinne a d'ailleurs conçu des décors de théâtre et ses dessins rappellent les carnets d'un designer comme E. Gordon Craig, mais son théâtre à elle nous évoque immédiatement la Lune. La nature lunaire de sa scène est donnée par le ciel noir et par un paysage qui semble se déployer dans l'infini de l'au-delà. La série Solo est basée sur d'étranges écarts de la force gravitationnelle - généralement fiable - sur les accessoires et les dispositifs qui emplissent ses «drames». Ainsi, les quatre balles qui volent symétriquement dans Fata Morgana rendent visible l'illusion - le mirage - qui rend crédible un "Fata Morgana".

Historiquement, cette illusion redoutée persuadait les marins infortunés que ce qu'ils voyaient était réel et sûr. Mais lorsque la seule couleur présente dans l'image est la brillance cuivrée d'une chevelure de sorcière, un marin doit se méfier. Comme nous devrions nous méfier, nous, son public. Et il ne faut pas oublier l'autre train fonçant sur ces rails, à savoir un sens de l'autodérision quelque peu moqueur.

En dehors de la nature sombre, presque monochromatique de ces images, au-delà de leur apparence silencieuse, quasi-monacale et minimaliste, il y a un esprit merveilleux qui pétille de façon rafraîchissante. Il plane au-dessus des acteurs vêtus de noir aux visages détournés. Dans Toute Pensée, nous voyons un personnage féminin approché par un objet volant énigmatique, tout à coup semblable à la sérieuse Lucy de "Peanuts", qui emmène son gribouillage en promenade! Elle est délibérément concentrée, elle se contrôle, alors que son alter ego plus calligraphique est sauvage, joyeux et totalement imprévisible ... l'antidote parfait pour l'austérité de Lucy ... un remède contre la mélancolie.

Cela ne veut pas dire que Corinne ne soit pas sérieuse, elle l'est, mais comme les meilleurs auteurs de bon cinéma français que d'autre part elle admire, elle laisse de l'espace à la contradiction, à un sourire averti et à l'expression d'un cœur généreux.

Les photographies négatives de la série Black Screen réalisés dans ce qui semble être des bâtiments abandonnés, ressemblent à première vue à des lieux que nous avons déjà visités. Mais les objets ordinaires diffusent une aura sur laquelle notre attention est attirée, qui est en décalage avec les arrière-plans plausibles sur lesquels ils ont été "trouvés".
Ils prennent de l'importance grâce à  l'inversion positif / négatif, que Corinne Mercadier gère si habilement que beaucoup ne la détectent pas.

Dans Lames, une pile d'objets improbables diffuse une lueur irréelle sur son fond presque noir. Parce que sa couleur originale a été inversée, quelque chose de miraculeux se produit. La photographe a arrêté votre regard, et vous a fait réévaluer l'importance de ce que vous voyez.

Grâce au rêveur qui rêve, le monde passe du banal au merveilleux ... et nous ne faisons pas que voir, nous voyons vraiment. Une des raisons qui donnent ce pouvoir aux inversions positif / négatif est que leurs tons moyens varient à peine de l'un à l'autre; ils passent imperceptiblement la ligne. Mais cela fait toute la différence en créant l'illusion de la normalité, ou la révélation de l'extraordinaire.
Dans la pièce sombre de Balai, nous sommes captivés par la bande dorée qui court au bas du mur, comme une incrustation de bronze vibrant. Quelle pièce de Versailles pourrait s'enorgueillir d'un décor si élégant?

Postface: l'histoire du médium nous dit que la photographie a toujours changé à mesure que la technologie évoluait. Et de bonnes choses peuvent également se produire lorsque les technologies disparaissent. Pendant de nombreuses années, les photographies de Corinne Mercadier étaient liées au grain et aux défauts du Polaroid SX-70 qui traduisaient la réminiscence "imparfaite" des rêves. Lorsque Polaroid a cessé de fabriquer cette pellicule, elle a dû chercher une nouvelle façon de faire. Ces deux nouvelles séries sont ses réponses. C'est comme si elle avait - à l'image de la photographie autrefois - brisé les chaînes de son passé "pictorialiste", et choisi de faire confiance à la nature fondamentalement précise de son appareil photo pour renforcer son expression personnelle.